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·23 de abril de 2025
L’instant tactique avec Alexandre Dujeux : « Le bon entraîneur, c’est celui qui arrive à synthétiser toutes les infos »

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·23 de abril de 2025
Méconnu du grand public jusqu’à cette saison, Alexandre Dujeux se construit tout doucement une solide réputation en Ligue 1. À la tête d’Angers depuis deux ans, l’ancien défenseur formé à Auxerre est parvenu à ramener le SCO dans l’élite non sans afficher un style séduisant. Une bonne occasion pour chercher à en savoir davantage sur la philosophie d’un technicien toujours prompt à se remettre en question.
Voici quelques extraits de notre interview de Alexandre Dujeux. L’intégralité de cet interview de 6 pages est à retrouver dans le magazine n°371 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 28 mars 2025.
Les premiers pas dans le foot
« Très naturellement. Mon père jouait au foot, je l’ai suivi en essayant de marcher dans ses pas. Ça m’a plu donc j’ai continué. J’ai rapidement pris une licence en club même si ça ne m’empêchait pas de jouer dehors comme les autres. Donc j’étais dans mon petit club des Ardennes et j’étais plutôt heureux.
La vision de joueur et d’entraîneur, quelles différences ?
« La vision de joueur est très différente. Déjà les époques sont différentes. Quand j’étais joueur, on me proposait quelque chose, je cherchais à appliquer ce qu’on me demandait, le plus fidèlement possible. Aujourd’hui, avec la nouvelle génération, on doit donner du sens à ce qu’on fait. Les garçons doivent savoir où on veut aller, comment on veut y aller et comment ça leur sera profitable. Avant, le coach avait sa tactique, ses idées, et il les appliquait. Aujourd’hui, on a nos idées, notre stratégie, nos valeurs, mais il faut convaincre ses joueurs pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. C’est une partie du travail intéressante quand la démarche est constructive. Quand c’est pour se retrancher derrière certaines choses où on ne veut jamais comprendre ce que dit le coach, c’est plus problématique. Dans l’immense majorité des cas, cette génération veut savoir ce qu’on propose. En fin de compte, il faut que ce soit bien clarifié dans notre tête pour pouvoir l’expliquer du mieux possible aux joueurs. C’est une partie du travail énergivore parce qu’il faut expliquer, convaincre. Et puis, il y a beaucoup de joueurs dans les effectifs. Moi, j’ai 25 joueurs de champ et 3 gardiens, donc ça fait beaucoup de personnes à emmener. Heureusement, je suis bien épaulé par mon staff pour relayer le message. »
Est-ce qu’il faut forcément avoir été joueur pour devenir entraîneur ?
« Non, je ne pense pas. Il y a tout un tas de garçons qui se sont construit avec beaucoup de travail, beaucoup de réflexion, beaucoup d’échanges avec les garçons qui ont joué. J’ai connu des gens dans mes staffs qui n’avaient pas joué à haut niveau et qui pourtant étaient très pertinents avec la bonne analyse. Alors, forcément, ils n’ont pas la crédibilité terrain comme peuvent l’avoir les grands joueurs, mais pour moi, ils sont également très bons avec un cursus différent et des idées peut-être différentes. Nous, les anciens joueurs et je m’inclus là-dedans, quand on a baigné tout le temps dedans, peut-être qu’on n’a pas la même réflexion, peut-être que ces garçons qui n’ont pas joué ont travaillé tellement qu’ils ont développé tout un tas de choses. Dans un staff, celui qui n’a pas joué peut apporter énormément. »
Ses principes de jeu ?
« Nous l’année dernière, par exemple, on jouait sensiblement différemment par rapport à ce qu’on fait cette année parce qu’on s’adapte. L’année dernière, on avait beaucoup le ballon, donc on avait des sorties de balle, des cheminements, l’idée d’attaquer les défenses adverses avec une possession de balle supérieure à celle de cette année. Cette année, on est promu, on rencontre de grandes équipes, on est obligé de s’adapter car on ne fait pas toujours ce qu’on veut avec le faible temps de possession qu’on peut avoir. Les grandes idées, c’est d’essayer de ressortir le ballon de derrière, au sol, avec l’apport des centraux qui est très important puisqu’on leur demande de casser des lignes. Les latéraux ont aussi une grande importance dans le contournement. Les milieux de terrain, eux, doivent se déplacer les uns par rapport aux autres pour pouvoir offrir des solutions de passes vers l’avant. Et dans les 30 derniers mètres, on demande aux attaquants d’amener beaucoup de profondeur par les courses ou par la percussion balle au pied. Ce sont les grandes idées avec un schéma qui n’est pas toujours immuable. Cette année, on n’est pas toujours en capacité de réaliser le pressing tout le temps, on saute les lignes de temps en temps pour jouer les seconds ballons. Sans le ballon, l’idée c’est d’essayer de récupérer le ballon très vite, d’essayer de faire du contre-pressing. Et quand on ne réussit pas ça, on cherche à former un bloc équipe qui défend en avançant avec l’apport de tout le monde.
Le schéma tactique préféré ?
Je joue le plus souvent à quatre défenseurs avec deux milieux de terrain, un numéro 10 et des attaquants qui sont soit des excentrés plutôt larges, soit des excentrés plutôt proches de la pointe. C’est un 4-2-3-1, 4-3-3 ou 4-2-1-3. Plus je fais ça, plus je me dis que j’aimerais sortir de ce schéma immuable. Je réfléchis beaucoup par rapport à ça. Quand le mettre en place et est-ce le bon moment ? Ce n’est pas simple de répondre à ça parce que les semaines de travail, en ce moment, sont assez courtes. On a quatre à cinq séances par semaine. Quand on retire la veille de match et la séance de reprise qui sert bien souvent à remettre les organismes en place, il ne reste pas tant de séances que ça. Mais lorsque je vois les grandes équipes, ce qu’elles peuvent faire en termes de déplacements coordonnées, de prises d’espaces, c’est assez impressionnant. Dans les grandes équipes comme Paris, les joueurs peuvent jouer à deux-trois postes différents. Et c’est sûr qu’il y a une grande qualité chez ces joueurs-là, mais avoir des schémas mouvants et donc difficiles à lire pour l’adversaire, ça m’inspire beaucoup. Je n’ai pas encore réussi à le mettre en place, mais ça m’attire, c’est passionnant à voir. Être difficile à lire pour l’adversaire, c’est la clé et ça laisse rêveur. On a le droit de rêver (rires).
Les joueurs ou le système, qui passe en premier ?
Je pense que le coach doit être aussi adaptable. Certes, il a des idées, mais il a aussi un cadre qu’il fait évoluer, avec des gens qui le font évoluer et ce sont souvent les membres de son staff ainsi que les joueurs. Ici, j’ai joué à cinq derrière lors de la première année en Ligue 1, puis je suis repassé à quatre en Ligue 2 parce que je n’avais pas forcément de pistons dans mon effectif. Cette année, on joue plutôt à quatre alors qu’on avait commencé à cinq. Il n’y a pas de schéma immuable, mais c’est vrai que pour valider des schémas, il faut que les joueurs soient bien choisis avec les caractéristiques du poste. Si je dois rejouer avec des pistons, il faudra que le club prenne des garçons capables d’évoluer en piston, avec du volume, une capacité à défendre, à attaquer et à répéter les efforts. Si on n’a pas ce type de joueurs, on est obligé de s’adapter ou alors on est un très grand club et on recrute. Si on n’a pas les bons éléments dans le vestiaire, c’est compliqué. Ça peut vous amener à mourir avec vos idées alors que moi j’ai envie de vivre avec mes idées. À terme, ce que j’aimerais - je suis un doux rêveur - c’est de passer de système en système. Pour ça, il faut avoir tout un tas de solutions dans le vestiaire, mais ce n’est pas toujours envisageable.
Est-ce toujours la meilleure tactique qui l’emporte ?
Sur un match, non, parce qu’on peut gagner en étant moins bon que l’adversaire. Sur une saison, certainement non, mais sur un match, ça arrive souvent. La bonne tactique, les bons choix, les joueurs aux bons postes et qui performent, sur le long terme, forcément que la tactique est très importante.
Quelle est la définition du bon entraîneur ?
Le bon entraîneur, c’est celui qui arrive à synthétiser toutes les infos. Elles sont très, très, très nombreuses toutes ces infos qui nous parviennent : des membres du staff, de l’entourage du club, des joueurs… Il y a plein de choses qu’on doit synthétiser. Il faut être capable de clarifier et de garder le meilleur. Moi, l’idée du bon coach, c’est celui qui vient avec un cadre de travail assez précis et qui s’améliore au fil du temps grâce à toutes les forces vives présentes autour de lui. Il doit être en capacité d’avoir ses convictions, ne pas être toujours dans l’indécision parce qu’il y a trop de choses qui le perturbent.
La différence entre un bon et un mauvais entraîneur ?
Question difficile. Qu’est-ce qu’un mauvais entraîneur ? Je ne sais pas. Moi, j’en vois beaucoup de bons. J’en vois aussi beaucoup qui n’ont pas de poste, car c’est un métier très exigeant. Je pense que le meilleur par rapport à l’autre, c’est celui qui arrive à optimiser toutes les forces de son groupe, qui arrive à faire progresser les gens et qui arrive à les convaincre.
Est-ce toujours la meilleure tactique qui gagne ?
La part de chance dans le foot ?
On peut avoir de la chance sur un match. Ça arrive d’être très mauvais et de gagner avec un gardien qui fait des prouesses par exemple. La chance se provoque et plus que de la chance, je préfère parler de réussite. Quand on provoque les choses, quand on frappe et que c’est contré, c’est aussi parce qu’on s’est approché du but et que le défenseur était pas suffisamment prêt ou le but contre son camp, c’est parce qu’on a amené le ballon dans la bonne zone. C’est plus de la réussite qu’autre chose. La chance, selon moi, est très épisodique. Si un coach entraîne 20 ans, il ne peut pas avoir eu de la chance pendant 20 ans, ce n’est pas possible.
Peut-on être un grand entraîneur sans avoir gagné de trophées ?
Certainement parce que ça dépend des clubs qu’on dirige. Forcément, quand on se retrouve dans de plus grands clubs, c’est plus simple. Il y a beaucoup de coachs, mais peu gagnent des trophées donc il y a logiquement des coachs qui ont fait d’excellentes carrières sans avoir gagné de titres. Ils auront optimisé à leur niveau ce qu’ils pouvaient faire. Dans certains clubs, un maintien peut être assimilé à un exploit. Évidemment, c’est loin d’être un titre, mais en fonction de l’effectif et des ressources humaines, il y a des techniciens qui ne gagneront pas de titres mais qui pourront être fiers de leur carrière.
Le temps nécessaire pour imposer sa patte
Ça dépend déjà dans quelles conditions vous arrivez. Est-ce que vous arrivez dans une situation de crise en cours de route ? Là, il faut être performant de suite parce que sinon la situation est foutue. Quand on a les coudées franches, qu’on peut faire son bon mercato, mettre ses idées en place, je pense qu’il faut trois à six mois minimum. Certains vous diront peut-être qu’on peut aller plus vite, mais pour que tout soit bien intégré, il faut au moins trois mois. La prépa passe à une vitesse folle, elle dure un mois et demi, mais on est sur le foncier pendant une bonne partie du temps, il y a peu de matchs amicaux, on est obligé de faire des rotations au départ donc on n’a pas forcément une équipe qui se dégage. Trois à six mois, c’est bien, même si paradoxalement, c’est assez long comme temps à l’échelle d’une carrière d’entraîneur parce que c’est déjà un luxe.
Ses inspirations comme coach ?
J’essaye de prendre un peu de tout le monde, à l’image d’un coach comme Klopp qui a amené quelque chose de différent. En ce moment, je trouve que Luis Enrique réussit quelque chose de bluffant. Préparer un match contre Paris, qui plus est avec l’écart de force entre eux et nous, c’est difficile à aborder. Ça part dans tous les sens, le danger vient de partout, c’est incroyable. Ce que Luis Enrique fait, c’est assez fabuleux.
Le coach n’est-il pas devenu un psychologue ?
On le devient de plus en plus, c’est clair. Après, en tant qu’ancien joueur, on est déjà un peu psychologue parce qu’on est passé par là. On est passé par des périodes où l’on se sent très fort, on est passé par des périodes où l’on se sent très mal. Déjà pendant une carrière de joueur, on est amené à beaucoup s’interroger sur soi-même, sur la gestion des émotions, sur la gestion du stress. Ça nous permet de ressentir certaines choses. Après, quand on parle de psy, ce sont des vraies compétences que nous n’avons pas. Nous, on a un vécu, une certaine sensibilité par rapport à la situation, mais si je pouvais avoir un psy dans le staff élargi de mon équipe, j’aimerais beaucoup. Quand on est joueur, c’est difficile de venir parler, s’ouvrir complètement sur ses difficultés à l’entraîneur, ce n’est pas possible. Un membre du staff, c’est compliqué également. Un psy qui serait détaché et qui serait un peu le référence, ça peut être une bonne solution car il peut débloquer beaucoup de choses.
La gestion des egos
Le statut de « star », ça implique des performances. Si les performances sont au rendez-vous avec un statut que l’on peut se donner, à la limite c’est logique et on gère ce qu’il y a à gérer la semaine. Parfois, il n’y a rien à gérer, parfois, il y a de petits écarts. Après quand les performances ne sont pas au rendez-vous, il y a des choix qui sont opérés. L’idée chez nous, c’est de prendre des garçons qui ont envie de venir et qui sont contents d’être là. Ils savent pourquoi on les prend et bien souvent, on essaye de ne pas prendre ces types de joueurs ingérables.
Groupe restreint ou élargi ?
Plutôt restreint, mais cette saison, je fonctionne avec un groupe élargi parce que des garçons devaient partir et sont finalement restés. C’est très compliqué, dès qu’il y a des notions tactiques, quand on veut faire du 11 contre 11, il y a toujours des garçons de côté et c’est toujours très dommageable. Pour mettre de la cohésion dans le groupe, donner un sens à ce qu’on fait, avoir des garçons à l’écart, ce n’est pas l’idéal.
La causerie type ?
On essaye de parler, de montrer des images. C’est ça le cadre pour avoir des idées claires. Il y a une introduction, un contexte, une conclusion pour essayer d’aborder le motivationnel et au milieu, ce sont des causeries avec des notions tactiques. Ça peut changer parfois, on peut inverser, l’idée, c’est de surprendre en variant régulièrement.
L’évolution du métier. Tu as changé ton management depuis tes débuts à Tours ou tu penses être le même ?
La vie vous change et vous fait évoluer. J’ai certainement changé depuis Tours. Ce que je veux, c’est essayer d’évoluer. J’avais certaines idées à Tours parce que je venais d’arrêter ma carrière de joueur, je n’étais pas forcément prêt, aujourd’hui, je pense avoir évolué. En tout cas, j’essaye de me remettre en question souvent. C’est pour ça qu’il faut beaucoup d’écoute et ne pas avoir peur de mettre en place des choses que vous n’avez pas mises en place avant.
Le foot du futur
Avec l’apport de la vidéo, déjà pour décortiquer le jeu adverse, on est très précis maintenant. Évidemment, le même schéma tout le match, de la 1ère à la 90ème minute, ça ne passera plus. C’est pour ça qu’il faut se réinventer, essayer de développer les garçons au niveau de l’intelligence de jeu, qu’ils soient capables de s’adapter en permanence à ce que propose l’adversaire. Commencer un match avec un seul type de sortie de balle, ce n’est pas possible. On ne peut pas défendre de la même manière tout le match parce que l’adversaire s’adapte. Le foot du futur, ce sera une adaptabilité et une intelligence situationnelle plus poussées qu’aujourd’hui.
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